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L’Évangile selon Maryse Condé

L’Évangile selon Maryse Condé

La grande écrivaine guadeloupéenne de 84 ans publie un roman qu’elle annonce comme le dernier de sa carrière. Une œuvre caustique et réjouissante, où passe avec talent la puissance universelle de l’amour.

Maryse Condé / Crédit photo : © Brice Toul

Le nouveau roman de Maryse Condé commence comme un conte. Nous sommes en Guadeloupe, « une île, comme on dit communément, pas aussi grande que l’Australie, mais pas petite non plus (…) généralement plate mais bosselée d’épaisses forêts et de deux volcans ». On sent au ton facétieux et légèrement ironique que ce conte ne sera pas banal. En effet, Maya, une jeune fille abandonnée par son cruel amoureux, accouche dans une modeste cabane. Sur la paille, le nouveau-né repose près d’un âne qui le réchauffe de son souffle, dans une « scène biblique ». Cet enfant sera nommé Pascal. Dans les rêves de Maya, un ange lui annonce que ce petit garçon va changer la face du monde. Les Ballandra, propriétaires de la grange, très pieux, prennent ce Pascal pour le Messie, un nouveau Jésus qui, comme dans la Bible, va accomplir des miracles… Maryse Condé nous propose donc une réécriture des textes chrétiens sacrés. Elle le fait en oscillant entre la farce et un ton plus doux, plein de clémence pour son personnage. La farce, c’est ce portrait souvent sarcastique de notre société frappée par le consumérisme, la bêtise, la peur et la haine. Dans la Bible de Condé, les anges portent des bottes lustrées, et c’est un ivrogne qui annonce le miracle. Pascal va grandir et se trouver des pouvoirs magiques. Il va aussi traverser le monde à la rencontre de problèmes très contemporains. Devenu adulte et pêcheur, il s’intéressera à notre époque « zébrée d’attentats et marquée de violence ». D’un tempérament révolutionnaire, écœuré par l’injustice, il se penchera sur la condition des plus pauvres, le sort des femmes maltraitées, la misère et le racisme en Afrique du Sud ou en Inde. Il parcourra la planète sur les traces d’un père biologique qu’il recherche. Là, Maryse Condé n’est plus ironique. Comme Pascal, elle partage cette révolte, et cette tendresse pour ceux laissés de côté par la marche du monde. Ce livre n’est pas seulement un nouvel Évangile, où tous les épisodes de l’histoire biblique sont réinterprétés, de la Cène à la trahison de Judas. Il devient un roman d’aventures, un roman engagé et optimiste.

Il faut dire que Maryse Condé ressemble à son héros. L’écrivaine guadeloupéenne de 84 ans, lauréate du Prix Nobel alternatif, a passé sa vie à cheminer avec les oubliés et les révoltés. Si elle ne se prend pas pour Jésus, elle partage avec la figure christique l’amour de son prochain, une insatiable curiosité qui la met sans cesse en mouvement et lui donne « le cœur à rire et à pleurer », le nom de son recueil de contes paru en 1999. Comme son héros, elle s’est toujours sentie libre et universelle en piochant dans les traditions africaines ou la littérature classique anglaise pour composer ses romans. Comme Jésus pouvait multiplier les pains, Maryse Condé sait comment rendre magique la cuisine, dont elle avait tiré un livre magnifique, « Mets et Merveille ». Elle a vécu en Afrique, lors d’une « vie sans fards », selon le titre de son autobiographie, mais aussi à New York, et aujourd’hui en Provence. Comme Pascal, elle a souffert de peines de cœur et de trahisons, qu’elle a également largement racontées. Surtout, comme son héros, métis, Noir et Blanc, comme Jésus, qui était Homme et Dieu, elle croit que l’être humain « n’est ni entièrement noir, ni entièrement blanc ». Maryse Condé a malheureusement perdu la vue. Elle a dicté ce roman somptueux. Elle n’a rien perdu cependant de son regard intelligent, de sa faculté à revisiter les légendes, de son génie pour retranscrire les sensations, culinaires ou érotiques, à cet art du récit presque oral qu’elle a toujours eu. En ce sens, ce livre est un miracle de littérature.

BIBLIOGRAPHIE

  • Hérémakhonon (10:18 1976 puis Seghers, 1988)
  • Une saison à Rihata (Robert Laffont,1981)
  • Ségou, tome 1 : Les Murailles de terre (Robert Laffont, 1984)
  • Ségou, tome 2 : La Terre en miettes (Robert Laffont, 1985)
  • Pays mêlé, suive de Nanna-ya (Robert Laffont, 1985)
  • Moi, Tituba sorcière… Noire de Salem (Mercure, 1986)
  • La Vie scélérate (Seghers, 1987)
  • En attendant le bonheur (Robert Laffont, 1988)
  • Hugo le terrible (Sepia, 1989)
  • Traversée de la mangrove (Mercure, 1989)
  • Les Derniers Rois mages (Mercure, 1992)
  • La Colonie du Nouveau Monde (Robert Laffont, 1993)
  • La Migration des cœurs (Robert Laffont, 1995)
  • Desirada (Robert Laffont, 1997)
  • Célanire cou-coupé: roman fantastique (Robert Laffont, 2000)
  • La Belle Créole (Mercure, 2001)
  • Rêves amers (Bayard Jeunesse, 2001)
  • La Planète Orbis (Jasor, 2002)
  • Histoire de la femme cannibale (Mercure, 2005)
  • Chiens fous dans la brousse (Je bouquine, 2008)
  • Savannah blues (Je bouquine, 2008)
  • En attendant la montée des eaux (Pocket, 2010)
  • La Vie sans fards (Pocket, 2012)
  • L’Évangile du nouveau monde (Buchet-Chastel, 2021)…

Auteur : Baptiste Rossi

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